Les animaux prennent la parole
Je revins m’asseoir à la table tout à fait abasourdie. Je restais bouche-bée pendant quelques secondes.
- "Maintenant, je peux te raconter…" intima le loup que je n’avais pas encore entendu.
D’une voix frêle et douce, il poursuivit :
- "Cela fait quelque temps que les “animaux” ont décidé d’intervenir pour sauver Gaïa, notre planète. Les humains l’ont exploitée sans écouter les cris de souffrance qu’elle pousse à chaque forage percé ou à chaque arbre arraché. Il est temps… Dans chaque coin de la planète, les animaux prennent les rênes.
- Nous avons décidé de nous unir, faune et flore, pour intervenir et enfin révéler aux Hommes la réalité de notre existence. La sagesse voulait que nous n’agissions pas puisque c’est ainsi qu’il faut vivre sur notre belle planète : se laisser porter par cet équilibre naturel sans intervenir. C’est ce que nous avons toujours fait. Mais l’Homme a modifié notre environnement pour l’adapter à ses besoins... au point de tuer la plupart des nôtres... Et de détruire notre planète mère…" reprit le lion.
Le cheval qui n’avait encore rien dit, souffla doucement :
- "Parfois, ils ont fait de nous des trophées de chasse, ils nous ont enfermé dans des cages pour venir nous «admirer », ils ont été jusqu’à faire des expériences dans des laboratoires pour pouvoir améliorer leur quotidien. Les cris et la souffrance des nôtres, jamais ils ne les ont entendus. Mais moi, j’entends encore les râles de ce chien à qui on a donné des coups, je vois encore les larmes de ce singe qui vient de perdre son enfant et je respire encore l’odeur de l’angoisse de ces koalas prisonniers du feu. Et ceux qui ont donné leur amour aux Hommes ont vu leur fidélité parfois bien mal récompensée : abandonnés sur le bord d’une route ou au bout d’une laisse. Comment après ça faire de nouveau confiance ?
Je baissai les épaules lestées par un si lourd fardeau…
Le loup continua, imperturbable :
- "Aujourd’hui, ils élèvent les nôtres dans un seul objectif : nous manger en grande quantité. Un nouveau-né peut-être ôté des mamelles de sa mère pour être mangé, certains animaux sont gavés jusqu’à en être malade pour être mangés... Il est certain que même entre nous, nous pouvons nous dévorer. Mais nous laissons toujours la possibilité à l’autre de pouvoir fuir : c’est une chasse, un duel. Le gagnant n’est pas forcément le plus fort. Les Hommes disent que certains des nôtres sont dangereux: lions, guépards, hyènes, serpents et tant d’autres encore... Ne savent-ils pas que nous ne faisons que nous protéger de siècles de tuerie ? Comment faire autrement ? La mémoire de nos ancêtres court encore dans nos veines et l’instinct de survie est ancré en nous…"
Il arrêta un moment sa tirade pour regarder intensément Jane et Aurélien.
- "Mais les Hommes qui ont osé s’approcher de nous le cœur pur n’ont reçu que de l’amour. Mais ils sont rares, en effet, à oser nous tendre la main..."
Un silence se fit. Aurélien en profita pour continuer :
- "Nous sommes liés et formons un tout. Nous, Hommes, faisons partie de ce tout mais on refuse de se voir comme des « animaux ». Les arbres et plantes font aussi partie de ce tout. Et aujourd’hui, eux aussi, ont des choses à dire... Nous serons ensemble dans cet appel à réagir."
Je regardais se dérouler devant mes yeux un singulier échange - et pourtant si limpide - entre ces êtres en apparence si dissemblables. Et je me sentais coupable de tout: on avait décidé pour la faune et la flore que cette Terre serait un enfer… Leur Terre… Et je restais là, impuissante et profondément triste.
- "Comment changer les choses?" murmurai-je timidement.
- "Vous, Hommes, pensiez qu’entre nous, animaux, il n’y avait aucune coopération. Mais c’est faux. Je connais un ours et un loup qui sont liés depuis des années. Ils se sont rencontrés alors que la louve était petite et abandonnée par les siens. L’ours l’a pris avec lui, s’empêchant d’hiberner pour la protéger du froid tout un hiver. Aujourd’hui, il est inimaginable qu’ils puissent vivre l’un sans l’autre. Ils partagent leur proie, visitent le monde et dorment ensemble" répondit le loup.
Un cacatoès pénétra dans la pièce en volant au-dessus de nos têtes. Il lança:
- "Après les incendies de notre belle forêt brésilienne, après les incendies en Afrique, après les incendies en Australie qui ont tués des millions d’amis, pouvons-nous ne rien dire ? Les Hommes n’entendent pas les cris de souffrance mais nous, ces cris nous empêchent de vivre, l’angoisse taraudée au ventre. Nous ne pouvons plus faire semblant."
Le lion termina cet étrange dialogue:
- "Nous avons toujours fait en sorte de ne rien voir, de ne rien dire, mais aujourd’hui la rancoeur monte en nous. Il est temps de montrer notre vrai visage... Celui de la colère...
Les contes sont en écriture...